Comment mettre en couleur à la main les lithographies imprimées en noir

Madame Élisa Mantois dirige un atelier d’enluminure dédié à la mise en couleur des planches lithographiques. Des coloristes, uniquement des femmes, travaillent sous sa direction selon un rigoureux partage des tâches. Dans ce chapitre, nous proposons une reconstitution d’un atelier d’enluminure au XIXe siècle, à partir d’une recherche documentaire très précise décrivant l’espace, le mobilier et l’outillage, ainsi que le mode d’organisation type de tels ateliers.

Nous avons également réalisé une enquête approfondie sur les traces de Madame Mantois, dont nous rendons compte de différentes façons.

Les résultats de cette petite enquête sont largement tributaires de l’accueil bienveillant que nous a réservé le personnel des Archives de Paris et plus particulièrement M. Rémi Soulié, à qui nous adressons tous nos remerciements. Sans son aide, il n’aurait pas été possible, en quelques jours, d’avancer efficacement sur ce dossier. Qu’il reçoive ici le témoignage de notre gratitude pour sa grande disponibilité et le temps qu’il nous a accordé.

Malheureusement, cette recherche n’a pas permis de retrouver les actes de naissance, de mariage ou de décès concernant Élisa Mantois. Deux hypothèses peuvent être proposées pour expliquer cette absence : soit elle n’était pas originaire de Paris, ce qui expliquerait au moins que son acte de naissance se trouve consigné ailleurs, soit l’ensemble des actes la concernant a disparu lors des incendies de mai 1871 qui ont ravagé les archives de l’état civil parisien datant d’avant 1860. Il existe pour ces archives un état civil reconstitué, mais apparemment Élisa Mantois n’y figure pas.

Les archives reconstituées ne se sont pas pour autant révélées entièrement inutiles, car elles ont permis de retrouver la trace d’Élisa Mantois par le biais de deux de ses enfants : la première, Henriette Clémence Julia Mantois, née en 1836 1 ; la seconde, Julia Caroline Henriette, en 1838 2. En outre, un troisième acte, celui du mariage de Julia Caroline Henriette avec un certain Amédée Alexandre Saintard 3, nous apprend qu’Élisa Mantois a aussi eu un fils du nom d’Albert Mantois. Les actes de la paroisse de Saint-Sulpice, qui correspond au quartier de Paris où résidaient les Mantois à cette époque, la rue du Pot-de-Fer-Saint-Sulpice, nous apprennent que l’enfant a été baptisé le 11 novembre 1834 4.

Ces différents actes semblent indiquer que le nom de naissance d’Élisa Mantois était Jeanne Françoise Élisa Bremant 5. Il est délicat d’affirmer qu’on tient là une preuve absolue qu’il s’agit bien de la même personne. Mais ces actes fournissent un certain nombre d’indices convaincants. On note tout d’abord la profession du mari de Jeanne Françoise Élisa, répondant au nom d’Antoine Mantois et exerçant le métier de graveur 6. En revanche, aucune mention n’est faite de la profession d’Élisa Mantois dans tous les actes que nous avons trouvés, ce qui n’est pas très surprenant, puisqu’il s’agit d’actes concernant d’abord ses enfants, pour lesquels, au XIXe siècle, la profession du père était primordiale. Ajoutons encore que l’acte de mariage de Julia Caroline Henriette nous apprend que celle-ci exerçait la profession de coloriste, tout comme Élisa Mantois, ce qui ajoute un élément convergeant dans notre faisceau d’indices.

Mais surtout, détail très important, les adresses qui apparaissent dans tous ces actes correspondent à celles de l’atelier de Madame Mantois figurant dans les annuaires généraux du commerce (de 1841 à 1849) : ainsi, pour les actes de naissance de ses enfants, dans les années 1830, on trouve, de manière récurrente, le 14, rue du Pot-de-Fer, autrement dit la rue du Pot-de-Fer-Saint-Sulpice, celle de son premier atelier, qu’elle aurait donc occupé bien avant 1841. Concernant maintenant l’acte de mariage de sa fille, en 1858, y figure cette fois-ci le 82, rue Bonaparte, soit l’adresse de son atelier, toujours notée dans les annuaires généraux du commerce (de 1853 à 1856). La consultation du cadastre pour l’année 1852 permet de préciser que les Mantois habitaient au quatrième étage de cet immeuble et qu’ils y tenaient sans doute une boutique 7. En 1855, l’Annuaire général du commerce et de l’industrie indique d’ailleurs que l’on peut se procurer à cette adresse « une préparation de blanc de zinc pour la peinture et l’aquarelle et à l’huile » 8. La concordance entre les adresses de Jeanne Françoise Élisa Brémant et d’Élisa Mantois nous confirme dans l’idée qu’il s’agit bien de la même personne.

Enfin, un dernier indice corrobore cette identification : il se trouve dans les actes de naissance des deux filles Mantois 9-10. Ces documents permettent de constater que le parrain des deux enfants n’était autre que le dessinateur Nicolas-Henri Jacob, l’illustrateur du Traité complet de l’Anatomie de l’Homme. Cette information est précieuse, car elle permet non seulement de confirmer qu’il s’agit là de la bonne personne, mais aussi de mettre en lumière l’intimité de la relation de Nicolas-Henri Jacob avec le couple Mantois, cela dès les années 1830. Toutes ces personnes nouaient sans doute des relations amicales, et cela explique sans doute pourquoi Élisa Mantois a été choisie pour colorier les planches de l’Atlas de Bourgery et Jacob. D’autre part, la proximité entre les Mantois et Nicolas-Henri Jacob était probablement très concrète, puisque plusieurs documents laissent supposer qu’ils habitaient ensemble, ou du moins dans le même immeuble. Ainsi l’acte de naissance de Julia Caroline, précise que Nicolas Henri Jacob a déclaré habiter au 14, rue du Pot-de-Fer, comme le couple Mantois. De plus, dans le document du cadastre concernant le 82, rue Bonaparte, le nom de « Jacob » revient à plusieurs reprises parmi ceux des locataires. Il ne fait guère de doute qu’il s’agit bien du dessinateur-lithographe travaillant avec Bourgery 11.

S’il apparaît à présent à peu près certain que Jeanne Françoise Élisa Bremant et Élisa Mantois sont bien une seule et même personne, que peut-on apprendre, sur ses activités de coloriste, à partir des actes trouvés aux Archives de Paris ?
D’abord, il faut revenir brièvement sur le fait que Jeanne Françoise Élisa Bremant, ayant demeuré successivement au 14, rue du Pot-de-Fer-Saint-Sulpice puis au 82, rue Bonaparte, était mariée à un certain Antoine Mantois, graveur, et que le couple a eu au moins trois enfants, dont l’une, Julia Caroline, a repris le métier de sa mère en devenant elle-même coloriste. Ces informations permettent de mieux appréhender le contexte familial dont est issue cette femme mariée avec des enfants, ce qui correspond parfaitement au schéma familial classique. Il faut également souligner que, par sa profession de graveur, Monsieur Mantois a probablement soutenu son épouse dans sa carrière. En effet, le Code Civil, rédigé à la demande de Napoléon et promulgué en 1804, empêchait les femmes de choisir librement un métier, et cette décision, comme beaucoup d’autres, appartenait finalement au mari. Il était donc très difficile pour les femmes de faire carrière, de surcroît dans les métiers artistiques, et c’est sans doute pour cette raison que l’on observe de nombreux mariages, ainsi qu’une transmission des savoirs familiaux dans les milieux artistiques, ce à quoi Élisa Mantois ne déroge pas.

En outre, quelques précisions supplémentaires apparaissent à la lecture d’un document en particulier, l’acte de naissance de sa fille Julia Caroline, dont les Archives de Paris conservent une reconstitution. Afin d’en faciliter la lecture, en voici la retranscription :

« Mantois
19 février 38
L’an mil huit cent trente-huit le vingt février à une
heure et demie de relevée. Par-devant nous maire Joseph
Gillet chevalier de la Légion d’honneur, adj[oin]t au maire
du onzième arrond[issement] de Paris, remplissant les fonctions
d’officier de l’État civil, a comparu M. Antoine Mantois
graveur, âgé de trente-sept ans, dem[euran]t rue du Pot-de-Fer, 14
lequel nous a présenté un enfant de sexe féminin né hier
à trois heures du matin en dite demeure de lui déclarant
et de Jeanne Françoise Elisa Bremant son épouse, âgée
de vingt-neuf ans, mariés à la douzième [deuxième ?] mairie en mil
huit cent trente quatre un ; auquel enfant il a donné
le prénom de Julia Caroline Henriette. Ladite
déclaration et présentation faite en présence de Nicolas
Henry Jacob dessinateur âgé de cinquante-cinq ans dem[euran]t
rue du Pot-de-Fer 14 et Jacques Hippolyte Aumont 12
dessinateur, âgé de vingt-trois ans dem[euran]t rue de [illisible].
[illisible] le père et les témoins signé avec nous
après lecture. Signé : A. Mantois N. H. Jacob
Aumont et Gillet adj[oin]t » 13

Cet acte est sans doute celui qui nous renseigne le plus sur Jeanne Françoise Élisa Bremant. On peut y apprendre qu’au moment de la naissance de sa fille, elle était âgée de vingt-neuf ans. On peut en déduire qu’elle est probablement née aux alentours de 1808-1809. On y découvre en outre qu’elle et son époux se sont mariés en 1831 à Paris, à la mairie du deuxième ou du douzième arrondissement. Ainsi sera-t-il peut-être possible de retrouver un acte de mariage dans l’une des paroisses de ces arrondissements ? Pour l’instant, cette recherche n’a encore rien donné, mais tous les dossiers n’ont pas été consultés. Il faut également souligner que toutes les archives paroissiales ne sont pas conservées aux Archives de Paris, certaines étant directement archivées sur place et malheureusement non accessibles au public.

Cette recherche aux Archives de Paris a donc permis de collecter plusieurs informations inédites à propos d’Élisa Mantois. On y a découvert son nom de naissance, Jeanne Françoise Elisa Bremant, ainsi que la date approximative où elle est née, vers 1808-1809. Nous avons également appris qu’elle s’est mariée en 1831 avec un certain Antoine Mantois, graveur, avec qui elle eut au moins trois enfants, parmi lesquels se trouve une autre coloriste, sa fille Julia Caroline, à propos de laquelle on peut penser qu’elle a pu participer à la mise en couleur des planches de l’Atlas de Bourgery et Jacob.

La famille a vécu des années 1830 à 1858 à proximité de l’église Saint-Sulpice, dans l’actuel sixième arrondissement de Paris, qui était encore le onzième à l’époque, dans la rue du Pot-de-Fer-Saint-Sulpice, puis dans la rue Bonaparte lorsque la première fut rebaptisée ainsi en 1852. Peu après le mariage de leur fille Julia Caroline en 1858, le couple a quitté le 82, rue Bonaparte, plus précisément en 1862. On retrouve la trace d’Élisa Mantois dans les annuaires des métiers de Paris au début des années 1860 : elle semble alors résider, toujours dans le sixième arrondissement de Paris, au 7 rue de Furstenberg, où elle continue de tenir un atelier boutique. Quelle est la date de son décès ? Pour le moment, nous n’en savons rien, et, d’après M. Soulié, un premier dépouillement des actes de décès de 1860 à 1902 n’a rien donné.

Enquête sur Élisa Mantois aux Archives de Paris

Une enquête menée par Éva Dahan,
titulaire d’un Master d’histoire de l’art soutenu en septembre 2017 à l’Université de Strasbourg portant sur Les graveuses en France pendant la Révolution.
Étude d’un milieu artistique et familial (1783-1804).

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1/ Acte de naissance de Henriette Clémince Julia Mantois,
née le 16 décembre 1836.
Archives de Paris, Actes de l’Etat Civil reconstitué.
Cote du document : 5 Mi1 438

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2/ Acte de naissance de Julia Caroline Henriette Mantois,
née le 19 février 1838.
Archives de Paris, Actes de l’Etat Civil reconstitué.
Cote du document : 5Mi1 457

3/ Acte de mariage de Julia Caroline Henriette Mantois
et d’Amédée Alexandre Saintard, le 11 mai 1858.
Archives de Paris, Actes de l’Etat Civil reconstitué.
Cote du document : 5 Mi1 2312

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4/ Acte de baptême de François Albert Mantois,
baptisé le 11 novembre 1834 et né la veille.
Archives de Paris, Actes de Baptême de la Paroisse Saint-Sulpice.
Cote du document : D6J 3683

5/ On trouve parfois de très légères variantes, par exemple avec les prénoms Jeanne et Françoise qui sont inversés, ou encore dans son nom de famille, qui peut être orthographié Brémant.

6/ Nous avons effectué une rapide recherche sur Antoine Mantois, notamment dans l’Inventaire du fonds français des graveurs après 1800 (Madeleine Barbin, Claude Bouret, Inventaire du fonds français, graveurs après 1800, Tome 15, Mabille – Marville, 1930-1985, Paris, Bibliothèque nationale : Département des Estampes et de la photographie), mais nous n’avons pour le moment rien trouvé à propos de ce graveur.

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7/ Extraits du dossier de cadastre du 82, rue Bonaparte.
Archives de Paris, Cadastre de la rue Bonaparte, 1852.
Cote du document : D1P4 136

Annuaire du commerce Didot-Bottin

8/ Annuaire général du commerce, de l’industrie, de la magistrature
et de l’administration : ou almanach des 500 000 adresses
,
Paris, Firmin Didot Frères, 1845
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

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9/ Acte de baptême de Henriette Clémence Julie Mantois,
baptisée le 19 décembre et née le 16 décembre 1836.
Archives de Paris, Actes de Baptême de la Paroisse Saint-Sulpice.
Cote du document : D6J 3685

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10/ Acte de baptême de Julia Caroline Henriette,
baptisée le 22 février et née le 19 février 1838.
Archives de Paris, Actes de Baptême de la Paroisse Saint-Sulpice.
Cote du document : D6J 3687

11/ Concernant le fait que Jacob était le parrain des deux filles Mantois, on peut supposer que la plus âgée des deux, Henriette Clémence Julia, est morte en bas-âge, puisqu’on ne retrouve plus sa trace par la suite. Ce qui expliquerait que les deux fillettes ont reçu des prénoms aussi proches.

12/ Le nom de Jacques Hippolyte Aumont ne nous est pas étranger. Selon toute probabilité, il s'agit du dessinateur lithographe qui a signé certaines des plus spectaculaires planches du Traité de l'anatomie de l'Homme sous la direction de Jacob.

13/ Pour cette transcription, nous avons respecté les césures du document original. Les passages que nous n’avons pas réussi à déchiffrer sont indiqués par la mention [illisible]. Nous n’avons pas retranscrit la partie correspondant à la reconstitution de l’acte en 1868. La partie barrée dans le texte l’est aussi dans le document.