Les premières dissections que nous avons pu observer concernaient des chiens, des chats, des cochons. Et les premières questions ont afflué devant l’expression figée des cadavres.
J’étais saisie, touchée ; qu’en aurait-il été s’il s’était agi de corps humains ? Mon empathie devant un cadavre ainsi présenté en aurait-elle été décuplée ?

Heureusement, à force de patience, mon esprit a fini par se focaliser sur le contexte scientifique et médical, à faire abstraction de mes émotions. À trop penser à ces animaux vivants, je n’arrivais plus à les observer.
J’ai retrouvé mes automatismes, le crayon au contact du papier. L’œil mobile, qui court du sujet au dessin. Je prenais peu à peu conscience de la complexité des anatomies. Mes heures d’apprentissage en cours de Didactique médicale ne me suffisaient pas à me repérer dans la complexité de la mécanique des corps. Parfois, je reconnaissais un organe, une fonction, mais je prenais conscience du chemin à parcourir pour maîtriser une telle somme de connaissances.

Mais voilà qu’à nouveau la vision de la chair inerte prenait le pas sur mon regard analytique et technique, cette chair bien réelle devant moi, aux couleurs criardes, sanglantes. Que ressentent réellement les professionnels qui pratiquent tous les jours des dissections ?

Le lendemain, j’observais fascinée l’anatomiste travaillant sur un bras humain avec une dextérité impressionnante : le geste sûr, il partageait sa connaissance parfaite de chaque détail anatomique. Couche après couche, les tendons, les nerfs se révélaient sous son scalpel ; éléments jusqu’alors discrets, ils apparaissaient soudain parfaitement lisibles.
Quelle surprise de découvrir la beauté de ces arborescences, l’exceptionnel raffinement de ces imbrications, de toute cette organisation de la machinerie interne ! Chaque corps, chaque être est unique.
Ces sentiments contradictoires peuvent-ils être aussi ceux d’un chirurgien averti ?

Quand bien même je considère cette confrontation à la dissection précieuse pour l’approfondissement de mes études en Didactique médicale, je dois avouer que cette séance m’a troublée. En sera-t-il de même lorsque j’aurai répété une telle expérience plusieurs fois ?