« Cartier libre » est une chronique radiophonique
matinale de trois minutes. Une carte blanche quotidienne que réalise Caroline Cartier depuis août
2004, trois minutes de sons sans commentaire sur des
sujets aux actualités variées, dont les axes ne sont pas
forcément conscients.
« Je fais cela spontanément. J’évite de m’analyser,
et dans la mesure du possible, de penser à comment
je travaille. Je sais juste à quelle heure je me lève,
qui peut m’écouter à 7h53. Je ne peux pas donner à
l’avance le titre de ma chronique, à la limite le sujet.
L’angle ? Je ne l’ai pas avant le reportage.
Plus j’avance, plus je sais ce que cela va être,
et au final, il y a ce truc qui se fait…
Souvent très tard.
Je suis entièrement libre de faire ce que je veux.
Dire que je suis journaliste, cela me gêne, même si
j’ai une carte de Presse. J’ai une certaine déontologie
et je ne fais pas mentir les gens, mais un journaliste
équilibrerait le pour, le contre, moi c’est plutôt une
sorte d’éditorial.
Les gens de la rédaction qui partent sur un événement
savent quasiment ce qu’ils veulent entendre.
Moi, personne ne me dit : « Je veux entendre cela. »
Moi, je profite de ce que je récupère.
Si être journaliste, c’est rapporter, alors oui, je suis
reporter, même si je n’aime pas vraiment ce mot.
J’arrive à faire passer la façon dont je regarde les
choses. Je ne suis pas artiste, je suis plutôt artisan.
Si j’arrêtais, je ferais de l’horticulture.
Chaque chronique au moment de sa diffusion est
introduite par un « lancement », c’est obligatoire.
C’est la dernière chose que j’écris. Souvent, comme
le sujet n’est pas rond, il n’y a pas d’angle, je ne sais
pas comment le lancer. Ce n’est pas qu’il n’y ait rien,
il y a trop à dire ! La matière première est importante.
Après, c’est l’écriture qui compte. Lorsque vous posez
une question à un enfant, vous ne savez pas ce qu’il va
vous répondre. Un adulte, en règle générale, il voit qu’il
y a un micro, alors il va bien formuler ce qu’il a à dire,
sur l’air de « L’ai-je bien descendu ? ».

Je travaille à l’INA, à l’intérieur de Radio France.
Il y a des bandes, des vieilles bandes. Je travaille
aussi souvent chez moi. Je garde le moindre son.
J’ai des disques durs énormes, énormes ! J’ai des cahiers
de notes et de recherche, un par mois. Il y a ainsi des
choses qui vous restent toujours à l’esprit, et un jour,
là, cela tombe juste. Je ne suis pas musicienne, mais j’ai
un sens du rythme. Dans mes morceaux, je cherche le
tempo comme dans la vie, en amour. Parfois je rajoute
du silence. Je sais que cela frappe plus fort, qu’ainsi
c’est plus grand.
Je n’ai pas une formation de designer sonore et c’est
une chance. Les techniciens considèrent que je n’ai pas
un mixage conforme. Par exemple, je travaille souvent
voix sur voix. Je fais une histoire, je fais ma physique-chimie,
même si cela ne se fait pas. Voilà, ce n’est pas
mal de ne pas faire d’école… En tout cas, ce n’est pas
un handicap.
La diffusion, c’est presque la cerise sur le gâteau.
J’adore avoir des retours d’auditeurs ! Quand je me
réveille et qu’il n’y en a pas, cela me frustre un peu…
Au début, on me disait « le Plantu » de la radio. En fait,
j’aime les dessins silencieux de Cardon. J’adore Willem
aussi bien sûr. De Maurice Pialat, j’ai vu
L’Enfance nue,
il travaillait le son particulièrement. J’adore le travail
de Gainsbourg, Melody Nelson, la façon dont il mixe,
ou
La Mort d’Orion de Gérard Manset. Dennis Cooper,
Bret Easton Ellis, une littérature très violente, Michel
Houellebecq. Virginie Despentes aussi…
On a l’impression qu’elle fait du reportage quand
elle filme. »
Caroline Cartier
À partir de l’entretien réalisé le 5 novembre 2008