« Initialement, le titre de l’oeuvre This is not a Time for Dreaming émane des interlocuteurs de Pierre Huyghe à Harvard, un commanditaire, qui refusait que l’artiste participe aux discussions sur le projet. » Marie Muracciole

L’expression « This is not a Time for Dreaming » renvoie (…) à une conception de l’artiste à l’opposé du réel, à une conception de l’art comme domaine d’un imaginaire clos sur lui-même.

Cette vision ne me correspond pas du tout. Je n’idéalise pas le domaine du rêve. Je travaille la porosité entre le réel et l’imaginaire, ce qui n’est pas la même chose que l’éveil et le rêve.
« L’université Harvard avait besoin d’un département des Arts visuels qui porterait ses enjeux esthétiques et intellectuels. On passa la commande à Le Corbusier. (…) Puis Pierre Huyghe fut invité à travailler avec ce bâtiment et les turbulentes mésaventures de l’architecte résonnèrent avec ses propres difficultés face à cette attente. »1
Je suis l’un des personnages, j’aurais pu apparaître en personne dans le film. Mais je préfère parler « au travers » ; (…) ce qui permet de faire apparaître les scripts de la réalité. (…) On ne peut pas documenter innocemment ce qui se passe dans le réel, comme si on ouvrait une porte sans s’impliquer, on le sait. Le documentaire passe par la fiction (…). C’est comme ça que je peux faire apparaître les ressorts dramatiques, la petite mécanique de la représentation (…). Produire des émotions en parlant de procédures de travail a quelque chose d’un peu grinçant, c’est une forme d’humour pince-sans-rire : ma manière de traiter un confl it dans une situation de production difficile.
J’enchaîne des faits et des fictions pour faire miroiter une forme de vérité. Celle-ci est forcément relative, et l’addition des dispositifs allégoriques finit par produire une forme de réel, par donner au spectateur un accès à la fonction « tirer les ficelles ». Je m’intéresse à la production de réel, ce qui ne veut pas dire que je m’adonne au réalisme ou que je me préoccupe d’une description « fidèle », naturaliste, de la réalité. Je pars d’un événement, ou d’un cadre. (…)
J’ai commencé en produisant une extension temporaire du Carpenter Center, une excroissance architecturale, une tumeur, un symptôme. L’idée était de faire une nouvelle salle de cours, et pour cela j’ai collaboré avec l’architecte Michael Meredith. Ce cours, qui est public, se fait sous la forme d’un spectacle musical. (…) J’ai choisi le spectacle de marionnettes parce qu’on est dans une école. (…) Je cherche à éclairer cette situation avec une irrévérence qui s’adresse aux rouages de l’institution. Je lui donne une forme en la mettant sur une scène qui est celle du théâtre de marionnettes, pas celle de la chaire universitaire, et la transmission se fait par ce biais.

Pierre Huyghe
À partir d’une conversation entre Pierre Huyghe et Marie Muracciole, parue sous le titre : « Qui parle ? » dans les Cahiers du MNAM, hiver 2006/2007
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1 - extrait du libretto de This is not a Time for Dreaming.
Tous les autres propos sont ceux de Pierre Huyghe.


Pierre Huyghe
Le site personnel de l'artiste.
http://www.pierrehuyghe.com/