Ce documentaire sur le marché de l’art, décrit par
certains comme « un jeu de massacre »1, a provoqué
de nombreuses réactions dont la plus emblématique
est sans doute le procès fait au titre même de l’oeuvre.
« Le COFIAC (Comité d’organisation de la FIAC) a
obtenu que le titre du film ne soit plus
Le Marchand,
l’Artiste et le Collectionneur mais
Un Marchand,
ses Artistes et ses Collectionneurs. »
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Son titre est au bout du compte : Un Marchand,
des Artistes et des Collectionneurs, et passe ainsi
du particulier à une généralité floue.
Pour Jean-Luc Léon, le documentaire est une invitation
à croiser des regards, à révéler ce qui est caché aux yeux
de tous.
« Si on ne trouve que ce que l’on vient chercher, autant
rester chez soi. (…) Ce qui est intéressant dans le
documentaire, c’est qu’on a une hypothèse de travail,
avec du temps, des lieux, des choix de gens, une durée,
une certaine quantité d’argent pour tenir le temps qu’il
faut. (…) Ce qui peut être magique à certains moments,
c’est que l’on est complètement débordé par ce que
les gens vivent. Si jamais cela se passe, on danse sur
un nuage.
Les gens, la caméra, la lumière, le son, nous fabriquent
des émotions qui ne sont pas de la pure distraction, qui
t’apprennent quelque chose, soit parce que c’est drôle,
soit par ce que c’est intelligent, soit parce que c’est
perceptible. Mais c’est rare. (…) Une fois par an, il y a
un moment où le film m’échappe totalement et c’est
ça qui est capté par ces machines, c’est fabuleux. (…)
Je ne sais jamais ce que raconte un film, ni celui que je
vois, ni celui que je fais. Parce qu’il peut être lu à divers
degrés, (…) il y a des morceaux arrachés à la réalité, qui
sont enregistrés par la gentillesse, ou la bienveillance,
ou la bêtise de certains qui sont filmés ou de certains
qui filment, parce que l’on est tour à tour idiot ou sympa,
intelligent ou crétin. Il y a des moments qui font que
l’on peut peut-être se comprendre sans se connaître. »
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Critiques d’art, galeristes, artistes… chacun a jugé ce miroir
tendu par Jean-Luc Léon déformant ou fidèle, c’est selon.
« Ce documentaire flétrit l’image de l’art contemporain,
soit ! Mais il démontre en quelques images grinçantes
que l’art est devenu une activité parmi d’autres dans
le grand jeu du marché, une activité banalisée et
assujettie à sa loi la plus sauvage. Toutes les petites
compromissions révélées par ce film ne sont que le fruit
de cette soumission au mercantilisme. Que des artistes
se noient dans ce modèle réduit de la mondialisation,
qu’on nous promet comme le meilleur des mondes,
et se réveillent bouffons, qu’importe, s’ils ne se drapaient
pas dans l’arrogance de la liberté de création.
N’en déplaise à l’angélisme ambiant, les exigences
qui nous obligent à défendre notre travail ressemblent
de plus en plus ouvertement aux exigences du marché
et ne s’apparentent aucunement au courage.
[…]
Il n’y a aucun courage non plus à entretenir la confusion
entre exposition et foire, expérience artistique et
précarité du marché, création et reconnaissance
institutionnelle, intégrité et lobbying, ou encore à vouloir
préserver l’opacité du marché de l’art. Le courage,
le courage politique, serait de s’interroger sur le
désengagement des artistes des affaires de la cité. »
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Réactions croisées
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1 - Courrier « L’Art moderne : une réponse d’Arman »
paru dans Le Monde le 27 octobre 1996
2 - Article de Geneviève Breerette paru dans
Le Monde
le 2 octobre 1996,
3 - Extraits de
Comment filmer les gens ? Petites réponses
de Jean-Luc Léon. Entretien avec Silvain Gire, Arteradio,
1er août 2002.
4 - Article d’Antoine Perrot paru dans
Le Monde
le 24 octobre 1996,