Le titre du livre, Dol, est un terme juridique qui signifie
une manipulation frauduleuse destinée à tromper dans
le cadre d’un contrat et qui vaut annulation de ce dernier.
L’élection de Jacques Chirac en 2002 est à mes yeux de
cet ordre. La façon dont on nous a vendu les réformes
libérales également.
Ce livre est né d’un coup de colère contre Sarkozy, puis
de la décision de parler plutôt de Raffarin. Comme il me
semble avoir moins d’ambition personnelle, la lisibilité
de son action est plus évidente.
C’est peut-être parce que j’ai été en tant que militant
formé à Attac, et qu’à Attac il y a ce projet d’éducation
populaire. L’idée d’éducation populaire comme
instrument de subversion politique. On y cherche
une meilleure compétence, une meilleure lecture
des faits économiques, de ce qui sous-tend les lignes
de force des décisions. Je pense que c’est un projet
émancipateur en tant que tel. Je pense que je m’y suis
retrouvé parce que j’en avais besoin, que je trouve cela
politiquement intéressant, et cela transparaît dans mon
travail, l’idée de mieux comprendre pour avoir une sorte
de compétence, de compétence démocratique, d’une
certaine façon, un avis éclairé.
Cet album de bande dessinée n’est pas celui d’un militant
qui décide de s’emparer d’un médium, mais celui d’un
auteur de bande dessinée qui décide de s’emparer d’un
thème politique.
L’idée, c’est donc de parler de la réalité, d’en parler
frontalement, avec un parti pris réaliste, voire
de photoréalisme. Puis en poussant la logique jusqu’au
bout, d’inclure des photos sans les redessiner.
Ce que j’ai essayé de faire dans ce livre et que je
n’avais pas fait dans les autres, c’est de fonctionner
sur certaines cases par superposition, plus que par
succession. Certaines fois une métaphore graphique
va être dite, puis répétée avec une deuxième par-dessus.
Les choses se superposent un peu comme cela pour
montrer les couches de sens qui peuvent s’accumuler.

J’ai aussi filmé des gens pour des interviews face
caméra. Ce dispositif qui vient du cinéma documentaire
me permettait deux choses : donner des informations
plus denses tout en reposant le lecteur qui n’a plus
besoin de lire l’image, ni de décrypter les liens
texte/images.
Ces livres-là n’existeraient pas sans le travail de
Fabrice Neaud. Quand j’ai lu le premier tome de
son Journal, j’ai lu pour la première fois une bande
dessinée qui n’était pas uniquement de l’ordre de la
narration et d’une histoire. Ses livres sont des récits
autobiographiques, mais ils peuvent glisser également
à un registre de discours. Ils passent parfois la parole
à un orateur qui réfléchit, qui analyse. Ce n’est plus
du tout réaliste. Je me suis dit : voilà la façon de faire
un ouvrage politique qui, pour moi, aurait du sens.
Je trouve qu’il y a une proximité entre le travail que
je fais et celui de Michael Moore. Sans que je ne le
cite comme une influence, puisque j’ai découvert son
travail après avoir fait le mien. Mais quand je regardais
les films de Michael Moore, je me disais que c’était un
peu la même chose. Un type à la première personne
qui va se mettre en scène à un certain moment, qui va
disparaître à d’autres. Cédant la parole à des images
de télévision, puis à leur analyse, passant de données
chiffrées à des interviews face caméra. La grammaire
est sensiblement la même. Même s’il manque à mon
sens, chez Moore, une dimension plus vaste d’analyse
politique.
Philippe Squarzoni
Extraits de l’entretien réalisé le 14 septembre 2008