Pour ce livre, je travaillais seule, c’était mon projet.
Pendant deux ans je n’ai pas eu d’éditeur, car on ne
publie pas un livre qui contient le mot « mort », j’avais
bien décidé que le titre serait : À la vie, à la mort. L’hôpital.
C’est en sortant des Carnets de prison, livre pour
lequel j’avais, par la force des choses, fait des pages
sur l’hôpital pénitencier de Fresnes, que le projet s’est
imposé. Un monde clos qui fait peur, c’est exactement
la base de mon travail. Moi j’y vais ! Pourquoi ? Parce
que je pense que ça fait des livres qui ont du sens.
Dessiner ce que je connais, je m’en fous. Je vis où je
dessine. Et si je dessine, c’est pour découvrir ou pour transmettre. Mon dessin est « au service ». Jamais,
jamais on ne me fera faire des dessins parce que
c’est beau à regarder.
Nous avons voulu nous écarter du côté « carnet ».
Chacun peut faire son carnet, et d’ailleurs les gens
dessinent de plus en plus en voyage, ce que je trouve
absolument merveilleux, mais quel besoin d’acheter
les carnets des autres s’ils n’ont pas de contenu ?
Dans un livre comme celui-là, la parole est essentielle.
Je suis totalement reporter avant d’être aquarelliste.
Il se trouve que l’aquarelle ne me pose plus de problèmes,
au contraire, l’aquarelle porte le texte. Sans la parole,
pour moi le dessin n’a aucun intérêt. J’ai cinquante
carnets remplis de témoignages, quand je dis remplis,
cela déborde. Souvent mon copain, Frédéric Houssin, mon
alter ego, me dit : « N’oublie pas de dessiner ! » Je me suis
lancée dans une aventure, que je continue d’ailleurs,
qui est de dessiner au-delà des apparences : C’est quoi
la vie ? C’est quoi la mort ?
Et l’idée de dessiner la mort, ce n’est pas quelque
chose qui a été fait parce que cela va faire peur, mais
parce que c’est l’aboutissement de la vie.
J’ai toujours su que ce dessin que je devais faire de
la fin de la vie, je le ferais parce que c’était le moment.
Après tout un parcours.
Je ne me documente jamais. À quoi ça sert de
commencer à s’angoisser de ce que l’on va voir ?
Ma grande théorie, comme dessinatrice : j’y vais j’avise.
Si on commence à avoir des idées, pour ou contre,
on reste chez soi, on n’est plus libre dans sa tête.
Je ne pouvais pas savoir ce que c’était que l’hôpital.
Je n’y avais jamais été. C’est pour cela que je dis que
ma force, c’est mon ignorance. Moins je sais à l’avance,
mieux je me porte.
Au fur et à mesure que je faisais ce livre, je me suis
aperçue que je racontais les étapes de la vie : naître,
grandir, vivre, vieillir, mourir.
J’ai passé toute ma jeunesse dans les livres, au Louvre.
Maintenant que j’ai mon âge, c’est fini. Les peintres,
ils font ce qu’ils veulent, je ne sens pas du tout peintre,
je ne me sens même pas artiste, je me sens reporter
aquarelliste, donc je vais voir les gens et personne
d’autre.
Noëlle Herrenschmidt
Extraits de l’entretien réalisé le 25 septembre 2008