Contre la bande dessinée. Un titre qui, par sa violence,
est déjà sa propre caricature. Contre, tout contre.
« Je suis parti d’une collection de citations que j’avais
accumulées depuis des années, de choses lues ou
entendues dans des livres, à la radio… sur la bande
dessinée. En particulier, une phrase de Milan Kundera
m’avait marqué. Cette phrase évoque une sorte
de hiérarchisation des arts : il ne serait pas possible
de regrouper dans un même ensemble à la fois Bach
et le rock, la bande dessinée et l’opéra.
J’ai ainsi proposé de faire une bande dessinée qui
traiterait du sujet même de la bande dessinée dans
la nouvelle collection Éprouvette de L’Association.
Je cherche toujours à aller vers la concision, vers la
petite chose, à essayer de mettre le dessin en retrait,
pas en avant. Ainsi, j’ai plutôt tendance à essayer de
faire des couvertures de livres sans dessin, à jouer juste
avec les mots, le titre, et si cela intéresse les gens, alors
ils tourneront les pages et découvriront les images.
J’ai mis du temps à trouver le système graphique qui
permettait de mettre tout cela en place. Je ne savais
pas s’il fallait que je construise un genre de petit récit
ou que j’utilise les phrases de façon brute, ou bien
s’il fallait que je réponde à ces phrases... Comment
fallait-il que je les classe ? Une fois le système trouvé,
c’est-à-dire une sorte de classification en fonction des
thématiques, je me suis dit que j’allais répondre de
manière uniquement dessinée. C’est-à-dire répondre
par la bande dessinée à ses détracteurs, aux phrases
un peu péjoratives sur la bande dessinée.
C’est un livre à la fois qui brosse d’une certaine façon
le portrait de la bande dessinée actuelle, et qui tente de
l’observer également de l’extérieur, en creux… Comment
les architectes voient la bande dessinée ? Comment
les musiciens ou les informaticiens en
parlent ?
C’est au lecteur en fait de se faire son idée, car j’ai mis
également des phrases que je trouve très, très belles
et qui sont là pour défendre la bande dessinée. Il y des
phrases comme cela de Le Clézio, David Lynch ou de
Fellini.
Le matin, lorsque je dessinais, je ne savais pas à quoi
allait ressembler la planche le soir venu. Je commençais
à écrire le texte, la citation. Je faisais à côté un petit
crayonné de l’illustration que je projetais pour avoir une
idée de son encombrement. Ensuite je finalisais le texte
et lorsque tous les crayonnés étaient finis, alors j’encrais
le dessin.
À cette étape, cela devient un travail plus manuel.
Un travail d’artisan. Je peux allumer la radio, écouter de
la musique. Mais il ne faut pas qu’il y ait une mouche qui
vole lors de l’étape de conception, lorsque je réfl échis
sur le texte, le scénario ou lorsque je travaille sur un
dessin de presse. Il ne faut pas qu’il y ait un seul bruit. »
Jochen Gerner
Extraits de l’entretien réalisé le 16 septembre 2008