La machine de Madame Du Coudray est un mannequin
pour enseigner l’art des accouchements. Elle a été
imaginée au XVIII
e siècle par une sage-femme formée
à l’Hôtel-Dieu de Paris, dans le but de lutter contre
l’ignorance des matrones de la campagne qui mettaient
en péril la vie des femmes et des enfants. Missionnée
et cautionnée par brevet royal, pendant vingt-cinq ans,
Madame Du Coudray a sillonné la France pour dispenser
son enseignement. Elle vendait ses machines dans les
différentes villes du royaume.
Le seul exemplaire qui ait été conservé est celui présenté
au musée Flaubert et d’Histoire de la médecine à Rouen,
où il a été déposé en 1778 suite à un cours donné en
Normandie.
Cette machine se compose d’une pièce
principale qui représente le corps d’une femme en
position gynécologique et en grandeur nature, avec
un nouveau-né, complété de nombreux accessoires.
De confection artisanale, elle est entièrement faite de toile
habillant les os du bassin d’une femme, rembourrée de
coton avec des parties en cuir. Dans la partie supérieure,
elle est ouverte pour positionner la poupée figurant l’enfant
dans le ventre maternel. Elle est équipée d’orifices dans
lesquels un jeu de ficelles permet de simuler la dilatation
du col utérin puis du périnée. L’ensemble étant conçu pour
donner à cette leçon son aspect dynamique.
Dans les villes, l’accouchement était confié à des
sages-femmes formées durant trois années à l’université.
Dans les campagnes, c’était plutôt l’affaire des femmes
et des matrones, dont les compétences, initiées de mère
en fille, n’étaient pas toujours à l’abri de certains risques.
Avec sa machine, son manuel illustré, son ambition
de détenir et de dispenser un savoir ainsi que par son
approche pédagogique originale, Madame Du Coudray va
faire irruption, puis s’imposer dans ce monde d’hommes
où les médecins étaient encore des universitaires
à qui la pédagogie appartenait tout entière.
Les modèles anatomiques en bois et en cire de l’époque
étaient de véritables oeuvres d’art. Baptisés « fantômes »,
leur vraisemblance restait à distance, virtuelle.
En réalité, le mannequin de Madame Du Coudray était
beaucoup plus fidèle dans les détails, parce que justement
il était destiné à être manipulé.
Ce qui fait l’originalité de cette machine conçue par
Madame Du Coudray, c’est la volonté de restituer ce qui
pouvait avoir un sens entre les mains de la sage-femme :
la fontanelle, la langue, le nombre de vertèbres du
nouveau-né, l’individualisation des doigts et des orteils…
Si à première vue cette poupée pouvait sembler naïve,
elle était en réalité savante et d’une incroyable richesse
pédagogique.
L’Abrégé de l’Art des Accouchemens était le manuel qui
accompagnait la leçon et que les femmes emportaient
avec elles après ce que l’on pourrait nommer aujourd’hui
une formation. À la différence des livres d’anatomie,
les descriptions y étaient simplifiées et s’appuyaient sur
l’impact d’images construites du point de vue pratique de
la lectrice, dont les mains étaient toujours soigneusement
représentées pour rester au plus près des gestes à
effectuer. Le témoignage de Madame Du Coudray y était
clair et concret, nourri de récits édifiants et d’anecdotes
vécues.
Cet outil pratique mis au service de la communication
du savoir-faire de l’accouchement était doté d’un support
pédagogique et documentaire théorique privilégiant
le quotidien de ses destinataires, qui mettait l’image
au service d’une vulgarisation des savoirs directement
en connexion avec le réel.
Cet ancêtre des outils d’enseignement par l’objet et la
simulation initiait déjà une approche pédagogique qui n’a
cessé de se développer et dont les principes sont toujours
valides.
Conçue au XVIIIe siècle, la machine de Madame
Du Coudray est certainement l’un des premiers dispositifs
« didactiques visuels » et à ce titre, elle demeure encore
d’une étonnante modernité.
Autour d’une rencontre avec Arlette Dubois, conservatrice
du musée Flaubert et d’Histoire de la médecine à Rouen,
le 20 août 2008.