Au départ il y avait cette collection Drôles d’aventures qu’avait imaginée Pierre Marchand chez Gallimard Jeunesse, dont le projet était de mettre en scène par la fiction un documentaire. Je lui ai proposé de travailler sur Hokusai. Je trouvais intéressante cette
mise en abîme d’une approche, par le dessin, de la vie d’un dessinateur, qui plus est documentaire.
Hokusai est un des maîtres japonais découvert par les Occidentaux, notamment en France par les
impressionnistes. Avec Utamaro Kitagawa, Hiroshige Ando, et quelques autres grands graveurs japonais,
il a renouvelé la façon de concevoir les images, de faire des nouvelles compositions, d’utiliser des gros plans,
d’avoir des personnages qui soient coupés bizarrement dans le cadre…
Le scénario joue des rapports entre un grand-père
et un petit enfant. Les yeux tout neufs de l’enfant qui
s’éveille, qui veut comprendre, apprendre. Le regard
du grand-père qui souhaite transmettre un vécu,
son expérience.
J’aime tous les ailleurs, particulièrement les ailleurs
représentés. Le filtre de l’Histoire fait qu’aujourd’hui,
lorsque l’on voit une représentation d’un Indien,
un paysage d’une île du Pacifique représenté par
un voyageur d’une certaine époque, il y a à la fois cet
ailleurs que l’on peut voir également par la photo,
la vidéo, par des moyens modernes, techniques,
et en même temps, il y a l’identité d’un témoignage,
d’un regard qui est déplacé dans le temps.
Il faut que les dessins soient vivants, qu’il y ait une
vibration dans l’expression de la page, qu’il y ait quelque
chose qui aille au-delà de simplement
« une représentation ». La difficulté, particulièrement
dans le documentaire, c’est de ne pas être contraint
par l’objectif de véracité, de justesse.
Pour ce livre, il y a eu tout un travail de croquis
préparatoires, de documentation, de repérages,
dans les livres d’Hokusai lui-même comme La Manga,
par exemple.
Je suis également allé au Japon. J’ai visité l’Institut
Ayashi. Cet atelier continue à faire des estampes
traditionnelles, les graveurs y travaillent exactement
de la même façon qu’au temps de Hokusai, avec
les mêmes outils. J’ai aussi découvert les temples,
leurs petits espaces naturels boisés aux odeurs de
châtaignes, au parfum automnal, ceci en pleine ville,
Pour moi, un des maîtres, c’est Sempé. Il traduit
par le dessin, en trois lignes, la gravité, le poids
du personnage ainsi que sa classe sociale. Il donne
une quantité d’informations en un minimum de traits.
Je pense également que la bande dessinée actuelle
investit le documentaire, ou ce que l’on pourrait appeler
simplement la restitution du réel, aussi bien que les
albums pour les enfants.
Le travail que fait Tardi, par exemple autour de
la guerre de 1914-1918, est inouï de recherche
et d’investigation, avec une approche du style
qui est très impressionnante.
Pour ce qui est de la peinture, ma curiosité me porte
plutôt vers des peintres narratifs : Bruegel, les petits
maîtres hollandais. Tous ces peintres qui étaient
fascinés par la vie quotidienne.
François Place
Extraits de l’entretien réalisé le 15 septembre 2008