Norm, studio de création graphique formé à Zurich par
Dimitri Bruni et Manuel Krebs, développe depuis dix ans
un travail partagé entre des productions personnelles
auto éditées et des travaux de commande. Si le studio
s’inscrit dans la tradition zurichoise du graphisme
suisse, rattachée au fonctionnalisme des années 1960,
son approche du design typographique témoigne d’une
réelle prise de distance à cet égard.
Sign Generator, un générateur de signes développé
en collaboration avec Jurg Lehni, est né d’une réflexion
critique autour de l’alphabet occidental. Le générateur
trace des droites d’un point à un autre sur une grille de
3 points sur 3, pour fabriquer autant de signes qu’il y a
de possibilités offertes par cette grille. Dans le nombre
fini d’éléments ainsi générés, on retrouve les lettres
de l’alphabet romain – a, b, c, etc. – et les variantes
de formes dont elles peuvent faire l’objet. Ce travail
d’épuisement du signe, d’exploration systématique
des possibles offerts par un système autonome,
semble répondre au principe élaboré par Borges dans
« La Bibliothèque de Babel », qui rassemble le nombre
fini de livres potentiellement concevables à partir de
notre alphabet latin. En déconstruisant avec ironie la
lettre pour mettre au jour l’arbitraire de sa construction,
ce système génératif se fait méthode d’exposition,
principe d’explication des limites culturelles de cette
convention qui fait qu’un a a telle forme alors
qu’un b en a telle autre.
Mais si la construction semble caractériser la production
du duo zurichois, les procédés à l’oeuvre se rapprochent
plutôt d’une déconstruction, d’une exploration des
potentiels qu’offre une contrainte de départ, prolongée
par la démonstration des limites d’un processus.
Les caractères typographiques s’accompagnent
d’ailleurs à chaque fois d’une publication quasi
scientifique qui en expose la structure et en dévoile
la genèse. Á côté du caractère typographique, ces
publications témoignent de la prépondérance du process
sur le résultat final, d’un souci de transmettre ce qui
habituellement disparaît derrière ce résultat :
une forme didactique de construction du signe, riche
des tracés et des mesures qui ont participé à sa genèse.
Le caractère Replica procède, de la même manière,
d’une forme de déconstruction. Les lettres sont tracées
sur une grille volontairement limitée à 100 unités
– là où la construction habituelle requiert 1000 unités –
réduisant par le fait les possibilités de détail, et prenant
à contre-pied la tendance Vorsprung durch Technik
– course à la technologie – dominant le champ de la
typographie. Le résultat est un caractère polyvalent
aux formes claires, proche de l’Helvetica, et dont les
particularités traduisent en finesse un procédé dont
la radicalité est à la mesure de la précision du tracé.
Ici encore, le produit de cette réduction illustre
les possibilités d’un dessin sous contrainte qui pose
la question de l’arbitraire des choix à l’origine de tout
travail plastique. La réponse proposée par Norm,
tentant d’évacuer le subjectif, ou du moins, d’en limiter
la proportion, expose avec justesse les possibilités
de construction de la lettre, et les décisions qui les
motivent. Le tracé du Replica prolonge une histoire qui
commence avec le Romain du Roi de Grandjean, premier
alphabet, construit plutôt que dessiné, qui, aux alentours
de 1700, traduisait déjà, dans une série de gravures sur
cuivre, une forme d’exposition de la structure d’un signe
inscrit dans une trame orthogonale.
Le travail de Norm déploie l’histoire du signe à l’échelle
d’une production cohérente dont la clarté traduit une
nécessité de comprendre, d’exposer par la critique
les formes typographiques qui nous entourent.
Vivien Philizot

Le caractère Replica a été dessiné sur une grille volontairement limitée à 100 unités, là où la construction habituelle requiert 1000 unités, réduisant de ce fait les possibilités de détail. Le résultat est un caractère aux formes claires, proche de l’Helvetica au tracé radical et précis. Cette grille de 100 unités véritable squelette de chacune des lettres dessinées par Norm a beaucoup d'influence sur l'aspect visuel des caractères.
Que donnerait un caractère Garamond, un Courrier ou un Bodoni adaptés à cette grille ? Et si l'on réduisait cette grille à 50 unités, puis à 10 ? Jusqu'où les caractères resteraient reconnaissables, lisibles… semblables ou différents ? C’est à cette réflexion sur la distorsion et la création que vous invite cette médiation interactive.