Neil Beloufa, plasticien ayant fait des shows solos au Palais de Tokyo parisien ou au MoMA new-yorkais, a embarqué les élèves de la HEAR dans sa bagnole cabossée pour un projet individuello-collectif d’installation vidéo. Retour sur un événement débridé nommé Pousse 2.

Une vraie fausse vidéo porno tournée live dans une voiture, une virée spatiale dans une galaxie où les étoiles prennent la forme de dés à jouer, une séance de carwash sexy, un parking se transformant en dancefloor disco où deux automobiles se frottent sexuellement, pare-chocs contre pare-chocs, en frétillant de l’essuie-glace… Après quelques jours de résidence hyper-dense, le groupe constitué d’une trentaine d’élèves et d’enseignants expose le résultat d’un workshop (appelé Embouteillage) mené en novembre 2018. Le point central ? Une carcasse de voiture sans moteur, devenue star de films projetés au cours d’une expo vrombissante comme la pensée de Neil Beloufa – et son débit de paroles à 130 km/h –, clinquante comme une caisse tunée et brinquebalante comme l’ossature d’une voiture volée.

Système

Pour cela, il a mis en place “un système” où tout le monde “acceptait d’être exploité pour les autres, où aucune idée n’était rejetée et où on travaillait collectivement. C’est devenu très organique : nous bossions tous dans un même mouvement, de manière déhiérarchisée”, où un enseignant réalisateur comme Alain Della Negra, exalté voire “ému” par l’aventure, pouvait se retrouver face à la caméra durant les tournages. “Les étudiants, de tous les niveaux, étaient considérés de manière identique.” Garence Oliveras et Ludovic Hedjeras, élèves de quatrième année (Art, groupe No Name), se rappellent : “En quatre jours, nous avons tourné une vingtaine de films, pris dans une extraordinaire énergie.” Il a fallu ensuite inventer une façon de montrer les vidéos produites, un dispositif avec la voiture posée au centre de La Chaufferie sur un piédestal tournant, des projections multiples sur des cimaises parfois accidentées, des casques sonores intégraux que l’on enfile.

Paradoxe

Pousse 2 illustre parfaitement la “mécanique Beloufa”, auteur du long-métrage Occidental qui jongle avec les genres, conciliant deux pôles antinomiques – l’entertainment et l’Art – tout en désacralisant un domaine qui “gratouille le bas de la colonne, mais ne te fout pas un coup de hache”, affirme-t-il, iconoclaste. Le plasticien ayant séduit un millionnaire chinois ou proposant ses services à une association en Ukraine est-il une machine à huiler les rouages de la globalisation ou un grain de sable dans le système ? Face au paradoxe, Neil Beloufa a choisi d’assumer cette position instable et de tirer dans les deux sens, faisant un dangereux grand écart au risque de la déchirure ou du lumbago. L’artiste accepte la compromission, sa “servilité” : il la pousse dans ses retranchements, se dirigeant parfois vers le trash, et contrebraque de manière parfois violente, sans perdre le spectateur en route. “On ne peut plus opposer Adam Smith à Karl Marx aujourd’hui”, lance-t-il en guise de conclusion, à la vitesse d’une Formule 1.

Emmanuel Dosda

(Mis en ligne le 28.03.2019)


Pousse 2 a eu lieu du 11 janvier au 3 février à La Chaufferie