

Strasbourg, HEAR, 9 h 30 — in Rencontres de l'Illustration 2022
L’enfance de l’art – Le beau, l’art brut et le troublant, année II : journée d’étude proposée par l’atelier Illustration de la HEAR, dans le cadre des RIS 2022.
Coordonné par Yvan Alagbé et l’atelier d’Illustration – Laboratoire de recherche : De traits et d’esprit.
Le Beau, le Laid et le Méchant. Voilà comment devrait s’appeler le film de Sergio Leone, Le Bon, la Brute et le Truand, si son titre avait été traduit fidèlement. L’italien « bruto » est ce qu ‘on appelle un faux ami. Peut-on en dire autant de l’Art brut ? Force est de constater que dès que l’on utilise ces mots, il n’est pas rare de voir convoquer les dessins d’enfant ou les arts dits « primitifs », Afrique en tête, autant de productions que Dubuffet ne voulait pas désigner, tout comme il n’a jamais été question pour lui de se contenter de l’idée d’ « art des fous ». Au-delà des mots, c’est par une collection d’œuvres et d’artistes choisi-e-s, qu’il a voulu incarner ce qu’était l’Art brut. On connait la fortune qu’a rencontrée sa trouvaille puisqu’elle fait aujourd’hui partie non seulement du discours artistique, mais aussi du langage courant. C’est ainsi que l’appellation « art brut » offre l’impression trompeuse de savoir de quoi on parle. Elle met à disposition une case pratique dans le paysage conceptuel de l’art. Elle rassure.
Revenir à la source, à la construction théorique dont l’Art brut est le fruit, en pointer les limites, les abus ou les insuffisances, c’est lui rendre son pouvoir de génération, sa fertilité, osons dire : sa radicalité. Repenser l’Art brut comme une invention, comme on invente un trésor, c’est ouvrir la porte à sa réinvention, ou plutôt ses réinventions. C’est le mettre en perspective, certes, mais c’est plus encore le remettre en mouvement, en action. Tel est le pari de cette journée d’étude.
Yvan Alagbé
Programme :
— 9h30 : Introduction par Yvan Alagbé, enseignant de l’atelier d’Illustration de la HEAR
— 9h45 : Céline Delavaux, autrice, critique / Il y a du brut partout
En 1945, Jean Dubuffet utilise pour la première fois l’expression “art brut” pour désigner des oeuvres de psychotiques, d’autodidactes ou de marginaux. Si le terme a depuis fait florès, aucune définition n’est jamais venu en cerner définitivement les contours. L’examen des écrits de Dubuffet permet de découvrir une véritable « fiction théorique », un « fantasme de peintre » une construction qui, loin de se limiter aux arts plastiques, va concerner également la musique (musique brute de Jean Dubuffet et d’Asger Jorn) et surtout aussi l’écriture (avec les textes en jargon)…
Céline Delavaux est écrivaine, essayiste, traductrice et critique. Docteur en littérature française, elle a consacré sa thèse aux écrits de Jean Dubuffet et au concept d’art brut. Elle est également cofondatrice du CrAB (Collectif de réflexion autour de l’Art brut). Elle a signé de nombreux ouvrages, y compris pour la jeunesse. Elle collabore également au travail de la Galerie du Moineau écarlate à Paris.
— 10h45 : Cécile Cunin, doctorante / Du Brut et du Féminin. Des créatrices et des oeuvres (sur)naturalisées
L’étude de différents textes, notamment de Jean Dubuffet, consacrés à trois créatrices associées à l’Art Brut (Aloïse Corbaz, Jeanne Tripier et Laure Pigeon) révèle que la « brutification » de leurs oeuvres passe entre autres par la réaffirmation de caractéristiques considérées comme naturellement féminines – ce qui inclue des caractéristiques surnaturelles. D’autres travaux sur ces oeuvres ont néanmoins ouvert la voie à une approche moins essentialisante, et permettent que soit entreprise aujourd’hui leur analyse au prisme du genre et de la sexualité.
Cécile Cunin est doctorante à l’université de Rennes 2 où elle poursuit notamment des recherches autour des artistes femmes dans l’Art brut.
— 11h45 : Baptiste Brun, maître de conférence / Fictions d’art brut : la parole en suspens
Cette communication présentera quelques fictions d’art brut, autrices et auteurs inventés de toute pièce, qui révèlent le caractère mythique (Barthes) de la construction biographique dans le monde de l’art brut. Ces histoires et autres fables permettent de poser la question de la parole des auteurs et autrices du champ, sa mise en suspens tout comme la nécessité de l’entendre.
Baptiste Brun est enseignant-chercheur à l’université Rennes 2 et à l’Ecole du Louvre. Ses travaux portent sur les interactions entre création artistique, histoire de l’art et sciences humaines et sociales dans la seconde moitié du XXe siècle, sur des œuvres et travaux apparentés à l’Art Brut et sur l’épistémologie de l’histoire de l’art pensée en regard du primitivisme. Commissaire d’exposition, il a notamment mis en œuvre l’exposition Jean Dubuffet, un barbare en Europe (Marseille, Mucem, 2019). Il est entre autres auteur de Jean Dubuffet et la besogne de l’Art Brut. Critique du primitivisme aux Presses du réel.
— 14h30 : Henning Wagenbreth, artiste / Amazona et la danse avec le pontife
Une femme nommée Amazona veut danser avec l’évêque de Munster. Quel scandale ! Comme punition, Amazona doit faire un pèlerinage à Jérusalem. Là, elle achète l’Arche juive de l’Alliance et l’apporte à Münster. Le “Bischoffstanz”, une histoire illustrée créé vers 1914 par Gustav Sievers, est la première œuvre cataloguée au sein de la collection Prinzhorn. Hans Prinzhorn (1896-1933), était un psychiatre et historien de l’art dont le livre, Expressions de la Folie bouleversa le regard de la société et des artistes sur l’« art des fous ». La collection Prinzhorn fut ainsi incluse par les nazis dans l’exposition d’ « art dégénéré » pour discréditer les avant-gardes artistiques. Pour fêter cette collection exceptionnelle, présentée à l’hôpital psychiatrique universitaire d’Heidelberg depuis 2001, 6 auteurs et autrices de bande dessinées, dont Henning Wagenbreth, ont été appelé-e-s à créer un récit à partir des œuvres historiques des « artistes-patients ».
Henning Wagenbreth est illustrateur, musicien et enseignant. Né en Allemagne de l’Est en 1962, il étudie la typographie et l’illustration à la Kunsthochschule de Berlin. De 1989 à 1991, il participe au collectif d’artistes PGH ((Coopérative de production de l’artisanat) formé avec Detlef Beck, Anke Feuchtenberger et Holger Fickelscherer. Depuis 1994 il occupe le poste de professeur d’illustration et de design graphique à l’Université des Arts de Berlin. Il publie régulièrement des illustrations dans des périodiques internationaux, dont le Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung, The New York Times, Libération ou Le Monde. Il est l’auteur des ouvrages Plastic Dog (2012, L’Association), Le Pirate et l’Apothicaire (texte de R.L. Stevenson, édité en 2013 par Les Grandes Personnes), Le secret de Sainte-Hélène (2014, Le Nouvel Attila) et Honky Zombie Tonk (Othello, 2016). Il est également membre du groupe de musique Mazookas.
— 15h30 : Sylvain Piron, maître de conférence / Les diagrammes terrestres et cosmiques d’Opicino de Canistris
Fonctionnaire de l’administration des papes d’Avignon, Opicino (ou Opicinus) de Canistris (1296-1355) a produit, pour son propre compte, des diagrammes déconcertants où se mêlent cartes et corps, symboles astraux et religieux. Exhumés peu à peu au cours du siècle passé, notamment par l’historien de l’art Aby Warburg, ses manuscrits suscitent encore de nombreuses interrogations. L’hypothèse de troubles psychotiques chez Opicino a valu à sa production graphique d’être parfois considérée comme relevant de l’art brut. Croyant fervent, prisonnier d’une époque politiquement instable, Opicino de Canistris expose dans ses dessins légendés la bataille qu’il livre contre ses monstres. Tel un enquêteur, Sylvain Piron a exploré les différentes facettes d’une œuvre complexe et fascinante.
Sylvain Piron est historien, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, membre du Groupe d’Anthropologie scolastique. Il a notamment traduit et édité Le traité des contrats de Pierre de Jean Olivi (Les Belles Lettres). Il est l’auteur, aux éditions Zones sensibles, du livre La Dialectique du monstre, consacré à Opicino de Canistris, ainsi que de L’Occupation du monde (2018) et de Généalogie de la morale économique (2020) chez le même éditeur. Sylvain Piron figure également parmi les fondateurs des éditions Vues de l’esprit.
— 16h45 : Pakito Bolino, artiste / I’m the eye Climax
Loin des clichés sur le handicap, La « S » Grand Atelier défend un art exigeant où artistes porteurs d’un handicap mental et artistes sans déficience cognitive travaillent ensemble. Cette pratique à plusieurs où chacun élabore avec l’autre, produit des oeuvres hybrides qui brouillent les frontières séparant habituellement art brut et art contemporain. Ce positionnement à rebours des catégories et de la bien-pensance a valu aux animateurs et artistes de La « S » Grand Atelier le titre de “punks du handicap”. Un tel surnom n’a jamais été aussi approprié que pour la collaboration nouée depuis près de 10 ans entre Pascal Leyder, insatiable dessinateur trisomique et Pakito Bolino, fondateur du Dernier cri, figure tutélaire de l’édition sérigraphique underground. I’m the eye Climax est le produit du carambolage graphique de deux créateurs hors-pistes, sur fond d’aliens cannibales, de robots exterminateurs et de créatures mutantes plus effrayantes et grotesques les unes que les autres.
Pakito Bolino : En 1993, dans l’incroyable bouillon de culture issu de la librairie-galerie Un Regard Moderne, naît un collectif d’auteurs alternatifs emmenés par Pakito Bolino et Caroline Sury. Après une dizaine de numéros du graphzine collectif le Dernier cri, l’équipe file vers Marseille où elle intègre la friche la Belle de mai. Suivront une nouvelle revue gargantuesque nommée Hôpital brut, mais aussi des ouvrages monographiques d’artistes venus du monde entier, des affiches, des disques, des concerts, des expositions et des films d’animations. Après plus de 30 ans d’activités, le Dernier cri s’est imposé comme une référence majeure de la création underground, en France comme à l’international. Si son activité débordante d’imprimeur et d’éditeur a parfois éclipsé son travail personnel, Pakito Bolino n’en reste pas moins un incroyable dessinateur, capable d’accomplir à lui seul la mission qu’il a donné à sa maison d’édition : faire saigner des yeux.
Télécharger le programme de la journée d'étude
— Vendredi 25 mars, de 9 h 30 à 18 h
Auditorium de la HEAR
1 rue de l’Académie à Strasbourg
Ouvert à toutes et tous
Auditoire extérieur autorisé dans la limite des places disponibles
Programme général des Rencontres de l'Illustration de Strasbourg 2022
L'équipe de l'atelier Illustration de la HEAR
Expositions dans les musées et les cafés, rencontres dans les bibliothèques, les écoles et salon des indépendants. L’illustration et le dessin essaiment sous toutes leurs formes à travers la ville et à la HEAR à l’occasion des Rencontres de l’illustration 2022. La participation fidèle de la HEAR à cet événement est l’occasion de mettre en avant son atelier d’illustration qui occupe une place à part dans le paysage des écoles d’art françaises. Sur son site de Strasbourg, l’atelier a formé une somme conséquente d’artistes œuvrant désormais pour la presse et l’édition, en France comme à l’étranger. Le travail de nombre d’entre eux pourra être apprécié lors de cet événement, au premier rang desquels Tristan Pernet et Simon Thompson.
Les autres rendez-vous de la HEAR au sein des RIS 2022 :
Exposition Paysage stratigraphique Tristan Pernet & Simon Thompson - La Chaufferie
Workshop linogravure - MAMCS
Exposition Un bruit dans la forêt - Médiathèque André Malraux