Laura Conill, fraîchement diplômée d’un DNA option Design, a remporté l’appel à projet Tango&Scan pour son projet de mobilier en papier, en partenariat avec l’entreprise Lana Papiers Spéciaux. Passionnée par cette matière, la jeune femme est en passe de révolutionner l’univers du mobilier.

Au départ, Laura Conill entreprend des études très théoriques : licence d’archéologie, d’Histoire de l’art et de philosophie de l’art. La suite logique était le master, puis une thèse. Finalement, elle dépose en dernière minute son dossier pour s’inscrire en première année à la Haute école des arts du Rhin. Admise, elle est sensibilisée lors de sa première année à “faire avec ce que l’on a autour de soi”, à la récupération, à créer des combinaisons entre matériaux. Elle s’oriente alors naturellement vers le design en 2e année.

Le concept de bricoleur de Claude Lévi-Strauss est une source d’inspiration pour Laura. Dans La Pensée sauvage, l’anthropologue français évoque le bricoleur comme quelqu’un qui « s’arrange avec les moyens du bord », pratique le réemploi et détourne les matériaux de leur usage premier. “Les matériaux ne sont pas éternels et infinis, le designer est obligé de prendre en compte cette réalité aujourd’hui” , explique la jeune femme, “à mon sens, la nouvelle génération de designers doit trouver des solutions pour créer de nouvelles matières dans une économie circulaire”.

Nouvelles matières

Toujours guidée par ce leitmotiv, Laura Conill expérimente pour créer ces fameuses nouvelles matières. Elle utilise, par exemple, des rebuts textiles pour créer une pâte destinée aux imprimantes 3D. Grâce aux partenariats noués avec les entreprises alsaciennes Velcorex et DMC, la jeune designer utilise les poussières textiles et les déchets de fils colorés qu’elle mélange avec un liant naturel pour créer cette pâte. Mais sa matière de prédilection reste sans conteste le papier. Le coup de foudre a eu lieu lors d’un stage effectué en 1ère année dans un moulin à papier à Saint-Léonard-de-Noblat (Haute-Vienne). “J’ai pu tester plein de choses ! J’ai créé du papier avec des orties ou de la menthe”, se souvient la jeune femme, “c’est là que j’ai pris conscience du potentiel et de la noblesse de cette matière”.

Cette année, elle se rapproche de l’entreprise Lana Papiers Spéciaux (par ailleurs mécène de la HEAR), située à Strasbourg pour récupérer leurs déchets. “J’avais le projet de construire un atelier itinérant de fabrication papier et pour mettre au point cette machine, il me fallait un maximum de rebuts papier”, explique Laura Conill. Elle monte un dossier, l’envoie à Lana et emballe l’entreprise. “Ils m’ont proposé de fabriquer ma machine dans leurs ateliers, avec l’aide de Pascal Blot, maître filigraneur chez Lana”, souligne la designer en devenir.

Le but de ce dispositif innovant est de pouvoir créer des objets à partir de déchets papier. “Nous avons créé des moules avec la technique du filigrane dont la forme permet d’élaborer des chaises, des tables, des étagères”, explique la jeune femme. Pour ceux qui doutent de la solidité, Laura Conill assure mettre un point d’honneur à tester (violemment) ses créations, “j’ai jeté des étagères, des chaises et autres projets contre les murs, ça tient !”, s’amuse-t-elle. Lorsque les fibres papier humides s’agglomèrent en séchant, la matière devient dure comme du bois et permet de créer toute sorte d’objet.

Tango & Scan

Alors qu’elle est résidence chez Lana Papiers Spéciaux pour fabriquer son atelier itinérant, Laura Conill entend parler de l’appel à projets Tango & Scan — qui propose des financements pour la réalisation de projets ou de services innovants portée par un binôme créatif/entreprise — et soumet un “deal” à l’entreprise alsacienne. “Je leur ai proposé de prêter leur maître filigraneur, de me donner de la matière première dans le but de créer une gamme de mobilier à partir de papiers de sécurité (ndlr : utilisés pour les passeports), raconte Laura.

Le contrat est gagnant-gagnant : l’entreprise peut réduire ses déchets — les papiers de sécurité étant interdit de recyclage — et la jeune designer profite de matière première à volonté pour ses créations. Un centre socio-culturel et un centre d’art situés tous les deux à Strasbourg sont d’ores et déjà intéressés par le mobilier en papier de Laura Conill. Mulhouse Alsace Agglomération est également intéressée et souhaite voir le mobilier exposé dans la Ville.

Plus tard, la designer en herbe aimerait lancer, avec trois camarades de classe rencontrées à la HEAR, un studio de design. Sensibles toutes les quatre aux questions de développement durable, elles souhaitent mêler leurs techniques fétiches — le design d’objet, la teinture naturelle, la céramique ou encore la couture — pour créer des objets soucieux des problématiques environnementales. La relève est assurée !

Charlotte Staub

(mis en ligne le 21. 06. 2018)