Au commencement était … un stage réalisé en 2019 par Yoshikazu Goulven Le Maître, alors étudiant en 3e année, dans l’entreprise HH Services – restauratrice de véhicules de collection labellisée EPV (Entreprise du Patrimoine Vivant). S’ensuivit naturellement une résidence de création au sein de l’atelier de carrosserie où le jeune artiste diplômé (DNSEP/master Art-Objet, atelier Métal, 2021) allait, accompagné par Hubert Haberbusch, Isaak Rensing et Romain Gougenot, déployer son approche et réaliser une sculpture animalière à l’échelle d’une automobile ! Débuté en octobre 2021, ce temps de recherche, de création et d’immersion aboutissait à la production de Monocoque Cistude après 1850 heures de travail. Le projet, lauréat de l’Appel à projets étudiant·es 2021  a pu bénéficier d’un soutien méthodologique et financier de l’école, et du mécénat de HH Services dans le cadre d’une convention avec la HEAR et la Fondation de l’Université. Rencontre avec Monocoque Cistude, une œuvre qui interroge notre rapport au temps…

Au travers de sa tortue, il confronte deux manières d’habiter le monde ou de s’en isoler, fusionnant avec humour carapace et habitacle. Éloge de la lenteur face à la mobilité et la vitesse forcenées dont l’automobile est le symbole, la tortue est un animal préhistorique qui a traversé toutes les époques. Survivrons-nous à la nôtre?
– Jean-Marc Dimanche, pour l’exposition Grandeur Nature, 2023.


Yoshikazu Goulven Le Maître
, adepte du recyclage (upcycling) et proche de l’arte povera, développe dès son cursus à la HEAR tout un travail autour de la récupération et de la réutilisation de matériaux usagés, qu’il  “sculpte littéralement pour donner naissance à un bestiaire étrange et poétique. En cherchant à travers la sculpture animalière l’illusion de vie dans les objets, il exprime l’altérité des entités non humaines sous une nouvelle forme d’expression du vivant, et entend ainsi interroger la dichotomie qui existe entre nature et culture.” En juin 2023, il était finaliste de la Bourse du multiple Louise Desrosiers lors du week-end des diplômes HEAR, avec son projet de collection d’objets sculptés en capsules recyclées.


Monocoque Cistude
  (150 x 310 x 230 cm) 
 est une sculpture en tôle d’aluminium formée représentant la carapace d’une espèce de tortue endémique, la cistude d’Europe. Dans de nombreuses cultures, la tortue symbolise le monde, la lenteur ou encore la longévité, une forme de résilience dans notre ère actuelle où la mobilité et les modes de production s’emballent. Conçue de manière monocoque, sa réalisation reprend le type de conception des automobiles actuelles, tout en faisant appel aux techniques de mise en forme traditionnelles, au marteau. Elle représente ainsi d’une part, la fragile pérennité d’un savoir-faire dans un monde industrialisé où la lenteur est dévalorisée ; d’une autre, elle met en pratique une certaine philosophie des métiers d’art : la qualité et le prestige plutôt que le profit. Il en résulte une œuvre hybride issue d’un dialogue entre savoir-faire traditionnels et art contemporain. Les futuristes peignaient des automobiles pour glorifier un monde d’accélération qui se poursuit encore aujourd’hui. Cette carapace s’y heurte pour servir d’abri aux passagers en mal de vitesse. Elle est une carcasse dépouillée de son habitant, une robuste épave intemporelle.
Une phase importante du travail de Yoshikazu consiste à observer l’animal qu’il souhaite reproduire. Il a ainsi sélectionné un spécimen naturalisé d’emys orbicularis du Musée Zoologique de Strasbourg qu’il a photographié et mesuré sous tous les angles pour réaliser un modèle d’argile. Cette maquette à l’échelle 1/13ème a servi au patronage des écailles et de la carapace. Après avoir réalisé le patronage, l’artiste s’est penché sur des techniques traditionnelles de carrosserie et de dinanderie. L’œuvre a ainsi été réalisée sur une charpente de maintien servant de base à la structure et évoluant à chaque étape de la construction : débit des tôles d’aluminium / mise en forme des écailles dorsales et marginales au marteau (emboutissage, allongement, rétreinte et planage) / mise en forme des écailles du plastron à la roue anglaise / ajustage et meulage / soudure au TIG / assemblage.

Montrée une première fois au public lors des Journées Européennes des Métiers d’Art en mars 2023 à l’atelier HH Services, alors qu’elle était en cours de réalisation, Monocoque Cistude fut présentée du 14 mai au 17 septembre 2023, lors de l’exposition collective Grandeur Nature coorganisée par le Musée de la Chasse et de la Nature, au parc du jardin anglais du Château de Fontainebleau. Elle figure dans le hors-série du magazine Beaux Arts (juin 2023) consacré au parcours.
Actualité ! Au gré de son cheminement, lent mais sûr, Monocoque Cistude fait escale à Strasbourg du 10 au 13 novembre 2023 au salon Résonance[s] organisé par la FREMAA (Fédération des Métiers d’Art d’Alsace). A cette occasion, une conférence “Dialogue entre métier d’art et art contemporain : création d’une œuvre hybride” abordera la production de l’œuvre dans le contexte de la résidence en entreprise, explorant avec le public les questions liées aux champs de l’art et de l’artisanat.

— Suivre le travail de Yoshikazu Goulven Le Maître

sur Instagram
site web de l'artiste

 


Publié le 23 octobre 023