Diplômée en 2019 d’un DNSEP Design textile, Rose Ekwé vient de remporter le premier prix “Matériaux et techniques” du salon münichois Talente 2020. Elle revient sur son parcours et ses projets futurs.

C’est avec son projet de tissus créés à partir de biomatériaux que Rose Ekwé a séduit le jury international du salon Talente 2020 qui, s’il n’a pas pu se tenir pour cause de Covid-19, a tout de même réunit virtuellement son jury international pour célébrer une sélection de jeunes artistes et designers. Elle figure ainsi comme l’une des dix primées parmi une sélection qui comptait 104 personnes issues de 25 pays. « En tant que designer textile, l’innovation autour du matériau est au coeur de mes préoccupations. J’ai développé une pratique de filage et de tissage tourné vers l’usage de matières qui ne sont pas forcément destinés au textile. C’est justement la transformation de matériaux inattendus, bruts et issus de la biomasse marine qui m’intrigue et anime ma recherche. Lorsque j’ai commencé à tisser, j’ai utilisé des fibres synthétiques, mais rapidement, j’en ai perçu la limite au regard de mes convictions éco-responsables. L’impact d’une certaine production textile étant aujourd’hui souvent négatif, j’ai décidé d’engager ma créativité en tenant compte de ces enjeux, en explorant des matériaux que je file pour créer des structures textiles non polluantes et réduisant leur impacts sur l’environnement, la santé, et l’humain » explique la jeune diplômée.

Cette envie de casser les codes du textile, elle l’explique par son passage à la HEAR à Mulhouse où elle expérimente un maximum de médiums. “Les enseignants nous poussaient à interroger les matériaux, les mettre en adéquation avec de nouveaux usages. Et c’est ce qui m’a amené à avoir une position plus innovante en tant que designer textile” se souvient Rose Ekwé. C’est lors de sa 2e année que l’école dote l’atelier Design textile de métiers à tisser. “Ça a été une énorme découverte, ça a complètement révolutionné ma pratique !” se souvient-elle.

Biomatériaux
C’est lors du 2e cycle que Rose Ekwé se lance dans des recherches sur les biomatériaux, “je voulais réconcilier mes intuitions esthétiques avec mes convictions éco-responsables”. Elle obtient un contact avec un enseignant de l’École nationale supérieure d’ingénieurs Sud-Alsace à Mulhouse (ENSISA) qui lui apportera beaucoup : “le fait d’avoir des conseils d’un ingénieur textile qui connaît l’enjeu de la fibre, notamment d’un point de vue industriel a été très important ! J’ai pu alors commencer mes recherches, faire des expérimentations dans ma cuisine de façon empirique!” se souvient-elle.

Après un stage dans le Fab Textiles de Barcelone lors duquel elle en apprend toujours sur les biomatériaux, Rose Ekwé s’intéresse plus spécifiquement aux algues. “On peut créer des matériaux très solides à partir d’algues, qui restituent les mêmes propriétés que du plastique ! J’ai donc mis au point ma propre recette et un procédé de filage spécifique à partir de particules issues de biomasse marine que j’ai filées puis associées à du lin et du chanvre. Mon enjeu était de créer des tissages bio-composites et compostables à partir de matériaux naturels et toujours dans une conscience éco-responsable” explique-t-elle.

Prix Design
Avec son DNSEP obtenu avec les félicitations, elle obtient le Prix Design de la ville de Mulhouse, après quoi “des portes se sont ouvertes ! Je n’ai pas eu de période de flottement après le diplôme.” Installée à Paris, Rose Ekwé fait régulièrement des allers-retours entre la capitale et Mulhouse. “En parallèle de mon travail avec l’ENSISA qui se poursuit toujours, j’ai intégré Fluxus, un incubateur culturel (NDLR: À l’initiative de la DRAC Grand Est / ministère de la Culture) qui, avec l’accompagnement de la HEAR et de Christelle Le Déan enseignante en Design textile qui me suis professionnellement depuis un an, nous aide à rendre viable économiquement nos projets”, poursuit-elle, “j’aimerais monter un atelier de tissage écoresponsable ; je fais actuellement des recherches de partenariats pour obtenir des particules de biomasse marine, je suis en contact avec des entreprises qui pourraient transformer ces déchets verts en nouvelle ressource dans une logique d’économie circulaire”, explique la jeune designer.

Dans le cadre d’un projet mêlant trois jeunes diplômés de la HEAR, elle participe également à un projet en partenariat avec Schroll, société qui s’occupe du recyclage et de la gestion durable des déchets, porté par Nathalia Mountinho, enseignant en option Design. “L’objectif est de dépasser les idées reçues sur l’éco-conception et de questionner la notion de déchet/ressource. On est pour l’instant dans une phase de recherche” précise-t-elle.

Elle voit son avenir et celui du textile complètement intégrés dans la problématique des biomatériaux. “J’ai envie de m’engager pour l’environnement en créant des matières vertueuses ! Idéalement dans 10 ans, je me vois dans mon atelier de tissage responsable à collaborer avec des industries, artisans, architectes et designers sensibles aux préoccupations éthiques et environnementales !”, conclut-elle.

Charlotte Staub

(Mis en ligne le 20.04.2020)


— Baccalauréat scientifique
— MANAA au Lycée La Source (Nogent-sur-Marne)
— DMA textile option tapisserie à l’École Duperré (Paris)
— DNSEP Design textile à la HEAR (Mulhouse)