Harmonie Begon est designer et lauréate 2021 de la bourse du multiple Louise Desrosiers. Grâce à ce soutien, elle signe une série de bouteilles en grès émaillé au sel au design innovant, qu’elle produit avec l’un des deux derniers potiers de Betschdorf, en Alsace du Nord. Elle revient sur ce moment charnière de « l’après école » pour les jeunes diplômé·es et ses pistes pour vivre de son art.

Avant d’être diplômée de la HEAR en 2018 (DNSEP/master Design), Harmonie Begon a expérimenté tous les ateliers art/objet de l’école et tous les matériaux, sans parvenir à se fixer sur l’un d’eux. En guise de méthode, elle a pris le parti de toujours chercher ses informations sur le terrain, à travers des stages à l’étranger, au Maroc et au Mexique, chez des designers, des artisans ou au Centre International d’Art Verrier de Meisenthal (CIAV) dont elle a numérisé la moulothèque. « J’ai très vite été dérangée par le lien hiérarchique entre le designer qui ordonne et l’artisan qui exécute ! J’avais envie de faire émerger des objets de design du terrain et non d’une étude de marché. »

Dès 2018, pour son projet de diplôme, elle se rapproche de la poterie Ernewein-Haas à Soufflenheim, à quelques kilomètres de Strasbourg, et travaille à l’atelier, comme potière et comme une ethnologue, pour documenter toutes les étapes de cet artisanat. Cette poterie traditionnelle, rurale et utilitaire, colle parfaitement à sa vision engagée de l’artisanat, qu’elle envisage comme un réel choix de société, au regard des problématiques écologiques, économiques et éthiques que nous rencontrons. « C’est une alternative locale, raisonnable en matières premières, produite à petite échelle, d’objets du quotidien qui valorisent le travail des artisans. »
Quelques mois plus tard, elle est choisie par l’équipe du CIAV avec sa boule de noël en verre soufflé, baptisée Piaf, inspirée poétiquement par les boules de graines que l’on prépare aux oiseaux, pour les aider à se nourrir en hiver. Après un séjour dans un village marocain de femmes tisserands, où elle se targue d’inventorier leur collection de tapis berbères, elle revient en Alsace, où elle travaille comme cuisinière dans un restaurant, pour gagner sa vie. Heureusement, le confinement lui permet de se recentrer sur ce qui la fait vibrer : proposer des objets et des projets qui rendent à l’artisanat toute sa place au cœur de nos usages quotidiens. Aiguillée par l’association Tempo, qui accompagne des aspirants entrepreneurs dans le domaine artisanal et libéral, elle postule au dispositif Tango&Scan, qui finance des projets innovants entre un créatif et une entreprise d’un autre secteur. Un concours taillé pour elle.

Le design au service de l’artisanat

Avec cette bourse de 15 000 €, Harmonie lance la fabrication d’une gamme de poteries avec son partenaire potier Ernewein-Haas. Ses pichets parlants, ses petites cocottes et ses plats colorés revisitent le patrimoine culinaire alsacien. Ils séduisent une nouvelle clientèle, plus jeune, dans des boutiques qui cultivent une certaine éthique, qui défendent l’économie locale durable et la protection du patrimoine. En créant sa marque A demain Maurice (hommage à William Morris, l’un des fondateurs du mouvement Arts & Crafts), elle donne un cadre économique à ses activités. « Je n’ai pas envie d’une vraie marque, mais je me rends compte que c’est un outil de liberté pour autoéditer nos objets. » La voici prête à des collaborations sur-mesure, fabriquées avec des artisans talentueux. Comme ce pot à friandises créé pour Tou’you, une jeune marque locale d’objets pour chiens, qui partage ses valeurs.

Durant un an, Fluxus, l’incubateur culturel et artistique de la DRAC Grand Est, la soutient par des formations et l’oriente vers la quête de résidences et de concours artistiques pour décrocher des financements. « En tant qu’étudiant.e, on ne mesure pas à quel point ces « exercices » sont des déclencheurs pour concrétiser ses projets créatifs ! Mais c’est une vraie discipline de monter les dossiers, d’écrire sur son travail et de présenter son projet à un jury. » Depuis lors, elle postule aux appels qui créent chez elle une émotion et remportent des concours qui font grandir sa confiance en elle. « Etre validée par des professionnels et des institutionnels qui croient en ton projet, ça donne du courage et la force d’oser. Parce qu’il faut toujours continuer à faire des essais et des rencontres ! » Vivre la résidence Jeune Estivante de la DRAC au Musée de la Poterie à Betschdorf, exposer à Marseille son travail sur le verre dans le cadre de l’Académie des savoir-faire de la Fondation Hermès… ont largement occupé cette dernière année.

Nourrie de ces multiples expériences, qui lui ont permis de réfléchir à son statut d’artiste et à l’économie d’un projet, elle avoue, toujours terre à terre, « être constamment dans la panique de l’après ». Son actualité de rentrée fournit pourtant matière à rassurer cette boulimique de projets : exposition à la Metz Design Week et aux Journées européennes du Patrimoine à la HEAR des bouteilles en grès, créées avec Philippe Walter de la poterie Fortuné Schmitter (avec le soutien de la bourse du multiple Louise Desrosiers) ; préparation d’une résidence dans le Val d’Argent autour du patrimoine textile et sortie chez Ulmer, en novembre, de son premier livre « Cuisiner autour du pot » qui combine son art de la photo, de la table et son amour de l’artisanat.

La bourse Louise Desrosiers
Site d'Harmonie Begon
Site de sa marque A demain Maurice
Agenda Journées européennes du patrimoine 2022 à la HEAR


Corinne Maix – Mis en ligne le 08 septembre 2022