Elle dit des phrases étranges comme « je vais faire circuler du brouillard », un tube de verre de sa Ligne bleue des Vosges à la main, un calendrier agricole illustré d’un tracteur fixé au mur de son atelier. Rencontre avec Mathilde Caylou, artiste verrière inspirée par la relation entre pays, paysan, paysage…

27 mai 2021 : veille de road trip

Sur la route du Kochersberg, quelques tâches jaune acide des champs de colza. La parisienne s’est installée dans ce coin d’Alsace quelques années après son diplôme, DNSEP Art-Objet obtenu en 2010 avec les félicitations du jury.
L’atelier est presque vide, si ce n’est le four électrique de céramiste – avec programme long, le chalumeau pour les pièces fines, la pièce du froid et sa scie, sa meule, son lapidaire pour polir – le tout bâché de toile blanche pour protéger des éclaboussures d’eau blanchie. La quasi-totalité des œuvres est emballée, en partance ou déjà exposée. Demain la Clio, complice d’aventure, mènera Mathilde à Saint-Louis et Nancy, à la rencontre de ses pairs de l’Académie des savoir-faire de la Fondation Hermès. Elle se réjouit de cette première séance « en vrai », le confinement ayant réduit à la part numérique tous les précédents échanges entre ces ingénieurs, théoriciens, artistes, scientifiques réunis pendant 9 mois pour une exploration collective du Verre : ces échanges transversaux enrichissent déjà sa pratique. Un compère spécialiste de l’optique a aiguisé son regard sur le reflet dans la pâte de verre. Parce qu’elle cherche toujours à comprendre…
Ensuite, cap sur l’Auvergne où elle expose à Horizons Arts-Nature en Sancy du 12 juin au 19 septembre. Je vais accrocher des gouttes dans les arbres, ça transcende mon angoisse, sourit-elle. Son projet Ruissellement autour de la pluie et du cycle de l’eau est né comme un exutoire de son inquiétude à la vue des sapins moribonds en forêt vosgienne. Elle a juste terminé de souffler 1065 pièces au chalumeau pour les expédier en terre volcanique. Le stress monte, sa seule appréhension, c’est l’installation à l’extérieur – un vrai challenge. Comment les éléments vont-ils accueillir ses pièces : le vent, la lumière, les branches ? Et en même temps, on voit dans son regard juste au-dessus du masque le bonheur de ce rendez-vous.
Détour programmé par Uzès pour récupérer des pièces exposées et puis direction la Loire, Saint-Florent-le-Vieil et sa belle abbaye où Mathilde présentera ses Plantes pionnières dans le cadre de l’exposition « Alors que le temps se fige », du 4 juin au 29 août aux côtés de Janique Bourget et ses pièces de papier, avant une autre exposition collective « Vivace et Troppo » au Garage – Centre d’art d’Amboise du 3 juillet au 19 septembre.
Il fait frais dans l’atelier, mais pas question de rallumer le poêle à bois – on est fin mai, n’est-ce pas ? Oui, et c’est un été prometteur pour notre maître verrière !

À l’origine de son travail, il y a toujours une question

La période « COVID », elle n’en a pas vraiment souffert – une seule exposition annulée à Paris, le reste maintenu ou reporté. En parallèle à sa création, elle est aussi souffleuse de verre et médiatrice au Centre International d’Art Verrier de Meisenthal – un ancrage dans une réalité à laquelle elle est attachée. Et puis… c’est pendant le confinement qu’est né son travail Plantes pionnières, celles qu’on a vu ré-investir les lieux désertés, pousser dans des espaces rendus à la nature, laissés en latence. Mathilde a cherché à comprendre, comme toujours, élargir le champ de sa connaissance, aiguiser la perception de ce qui l’entoure. Plantain, coquelicot, séneçon, rumex : elles restructurent le sol pour que d’autres espèces arrivent, rendent la vie à nouveau possible. Ces discrètes combattantes du vivant, Mathilde les sculpte à la flamme de son chalumeau, ode de verre à cette force verte.

Au commencement, qu’est-ce qui a motivé ce choix de voie artistique ?

“C ’est justement ce grand plaisir à faire, qui est devenu addictif et une vraie jouissance – pure joie d’avoir fait du beau quand après de longues heures de cuisson, polissage, recuisson, ça advient !”
Adolescente, elle se voyait restauratrice d’art, formation qui nécessite un premier diplôme de chimie ou d’art. N’ayant aucune disposition scientifique et peur de se perdre à l’université, elle a tenté les « Arts Déco » à Strasbourg. Premiers pas douloureux, mal engagée en design, elle échoue au DNA… mais la découverte des ateliers verre en année 2 a rendu possible un vrai coup de foudre « devant le feu et l’inconnu » de cette matière ! Et puis Michèle Perozeni, enseignante attentive à l’étincelle, a accompagné son étudiante et son besoin irrépressible de patouiller la matière . Elles sont d’ailleurs toujours restées en contact depuis.
Après l’école, Mathilde s’en est allée continuer d’apprendre à souffler le verre, de stages en ateliers, pendant toute une année au Danemark, la pratique étant bien ancrée en Scandinavie, avec une esthétique évoluée – ceci sous le statut d’étudiante en 6ème année aménagé par l’école à l’issue du DNSEP. La Ville de Strasbourg lui a ensuite attribué un atelier au Bastion 14. “Pour un bail de 50 € par mois tout compris, même le four ! J’ai pu explorer sans frein, y cuire tellement de pièces !” se souvient-elle avec gourmandise. Avoir un atelier de suite a été déterminant pour ne pas lâcher. De la beauté ressentie au geste qui la concrétise : faire, toujours et encore !

Une idée, déjà, de prochaine création ?

Mathilde accueille les temps de latence sans pression, intégrés dans son processus de fertilisation créatrice. Comme rencontres majeures et inspirantes, elle cite … ses lectures de Gilles Clément, Emanuele Coccia, Francis Hallé et Bruno Latour qu’elle considère comme son maître à penser. Des pensées nourricières de son art, tout comme l’est son observation quotidienne du travail de son compagnon agriculteur. Avec toujours cette envie, enracinée, de poursuivre son cheminement, marqué par les Empreintes de sol emblématiques de son travail, mon motif – dit-elle. Les choses s’enchaînent, se nourrissent d’elles-mêmes.
Nul doute que les Plantes pionnières auront pollinisé son inspiration, portée par sa fascination sans fin pour la matière qu’elle s’est choisie, “le verre qui convoque l’air, le feu, la terre (silice), l’eau et la lumière. A la fois métamorphique et métaphorique.”

Son regard sur l’école ?

“L’école permet de structurer sa réflexion, sa démarche – une base essentielle pour devenir autonome. Et puis la HEAR est la seule école des beaux-arts en France à proposer ces ateliers verre sur site, précieux label ! Une vraie identité. Avoir ce diplôme strasbourgeois sur le CV autorise à candidater à des résidences ou appels à projets auxquels le statut d’artisan ne donnerait pas accès, la passerelle art contemporain-artisanat étant à sens unique.” De la HEAR, elle a aussi gardé un réseau, un noyau de contacts vitalisant ! Et cette envie d’apprendre n’a pas tari, source vive pour Mathilde qui envisage, pourquoi pas, de faire une thèse sur le verre, “une expression encore jeune dans l’art contemporain, puisque le verre n’est apparu dans ce champ que dans les années 60 avec le studio glass. Il y a encore tant à exprimer, c’est le tout début d’une histoire !”


Josy Coutret • Mis en ligne le 31 mai 2021


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