Dans le cadre des résidences croisées proposées par l’Eurométropole de Strasbourg avec les villes de Dresde, Stuttgart et Gdansk, chaque année, à l’automne, la HEAR accueille un ou une artiste originaire de Stuttgart. Martina Geiger-Gerlach a ainsi installé son « studio » pour 3 mois dans les murs de l’école. Portrait.
Martina Geiger-Gerlach, artiste citoyenne
C’est un détail, mais pour elle, il veut dire beaucoup : son studio temporaire ceint de fenêtres, donne à voir aux étudiantes et étudiants qui passent par là, l’artiste au travail. Durant ces trois mois de résidence, elle planche sur un projet photographique au Parlement européen dont elle a affiché les premières esquisses. « Je garde toujours ma porte ouverte pour pouvoir engager la discussion. Pour moi qui me pose toujours la question du sens dans l’art, une résidence dans une école est l’endroit idéal, parce que c’est là que la réflexion se construit. » Le sens de son travail, elle le trouve dès l’obtention de son diplôme en 2009 à l’école d’art de Stuttgart. Martina Geiger-Gerlach choisit alors de travailler sur les relations sociales et les rapports de pouvoir.
Cette année-là, elle propose Gastspiel, une installation vidéo montrant 8 femmes sans-abri, assises et regardant fixement l’objectif durant une heure : « On a du mal à soutenir le regard devant la pauvreté. Là, le public les voit et les ressent, ce qu’il n’a pas, en temps normal, la possibilité de faire. » Quel que soit le médium, l’artiste allemande a recours à l’art pour connecter deux mondes supposés antagonistes et l’utilise pour délivrer un message politique : « J’ai compris qu’être artiste permettait parfois d’avoir une position privilégiée pour révéler. J’ai pu mobiliser des lieux pour organiser des performances qu’il aurait sinon été impossible d’avoir. » Pour Raumwunder, Martina Geiger-Gerlach a accès, avec l’accord des propriétaires, à un immeuble qui attend d’être démoli. Certains appartements sont repeints et aménagés et des réfugiés les habitent temporairement profitant alors d’une ‘retraite artistique’, prétexte invoqué par l’artiste.
Idem avec Warten (“attendre” en français), tenant place dans un vaste espace de 250 m2 à Ellwangen (non loin de Stuttgart) qu’elle fait occuper par des réfugiés qui passent d’ordinaire leur temps à attendre à l’écart de la ville, dans de petits containers. Chacun d’entre eux est rémunéré 1 € de l’heure (tarif légal fixé par une directive gouvernementale relative aux demandeurs d’asile) pour une journée de 8 heures de travail. Elles et ils attendent, s’assoient, discutent, passent leurs coups de fil ; les visiteurs traversent l’espace comme ils le souhaitent ; l’artiste participe elle aussi à la performance. Le tout est filmé et documenté pour que chaque partie prenante comprenne le dispositif. Des « sculptures sociales » qui livrent chaque fois leur sous-texte : quelles mécaniques à l’œuvre ?
L’artiste, un citoyen comme les autres ?
Pour Martina Geiger-Gerlach, l’interaction entre engagement civique et création artistique est une évidence et participer elle-même à ses performances, une exigence qui relève presque de l’honnêteté intellectuelle. « Responsabilité est un mot très important dans mon travail, pour comprendre les choses, il faut aussi qu’elles se projettent sur moi : comment viennent-elles me modifier ? Nous modifier ? Tout est concentré au même endroit. » Elle cherche à mettre le doigt sur ce point de friction où les frontières, les limites, les systèmes de représentations s’effondrent pour créer une situation inconfortable générant de l’empathie mais surtout des questions, pourquoi pas des discussions. « L’art quel qu’il soit rend visible quelque chose, pour moi, c’est l’humain et la société. Rendre certaines situations, émotions et certains problèmes visibles en les sortant de leur contexte pour en créer un autre est une tâche. L’artiste se doit d’être au milieu des discussions. »
Sur son site Internet, elle affiche d’emblée son ambition de questionner les utilisations et les effets de l’art, un leitmotiv qui la pousse à entrer en résonance avec le moment sociétal qu’elle traverse, « particulièrement sensible en ce moment ». Parce que ce qu’elle craint le plus c’est cette « politique de l’autruche » qui tend selon elle à se généraliser : « Beaucoup de gens agissent comme des enfants. Parce qu’ouvrir leurs yeux et leurs oreilles et en payer les conséquences est trop dur pour eux. » C’est le sens de son travail : donner à voir ce que le système refuse généralement de regarder.
Par Cécile Becker
Le site web de Martina Geiger-Gerlach